Pressez-vous #9 / textes de l’exposition

La voix des images ou comment désobéir au doigt et à l’œil

Progressivement, l’image signifiante disparaît de notre espace public et l’image dédiée à l’actualité, témoin et actrice de son époque, tend à être davantage marginalisée. Depuis les attentats de Charlie Hebdo, le dessin de presse n’a pas repris la place qu’on était en droit d’espérer dans les pages de la presse et rares sont les institutions qui osent encore diffuser des messages visuels dépassant la simple communication évènementielle.

D’où vient ce renoncement en matière d’images ? D’un manque de considération pour les signes ? D’une subite pénurie iconographique ? De la peur de ce qui fait sens ? Et si tout cela n’était qu’une affaire d’éducation à ce langage si particulier ?

Les écoles d’art ont cette mission de former à l’image, d’apprendre à la lire, de donner les outils pour la concevoir et enfin d’aider à contextualiser sa diffusion. Lorsqu’il est acquis pour la plupart des gens que le texte demande du temps et certaines connaissances, il ne semble pas, étonnamment, en être de même pour l’image. Une fausse idée circule encore qui ferait croire que l’image est sans filtre et que sa lecture en est immédiate, voire universelle, alors que, bien au contraire, et surtout dans le cas de l’image graphique d’actualité, il s’agit d’une production parfaitement codée. Ces images sont à la fois extrêmement synthétiques et en même temps dotées d’une fabuleuse aptitude à la polysémie. Elles ont la faculté de redéployer leur contenu dans l’imaginaire de leur « lecteur visuel ». Le temps de l’observation leur confère d’autres niveaux d’appropriation et chaque époque les éclaire différemment.

Pour sa 9ème édition de Pressez-vous, l’ésam de Caen/Cherbourg fait la part belle à toutes ces images graphiques d’actualité, de tous types (affiches, dessins de presse, illustrations, reportages dessinés…). L’actualité, dont les ressources sont intarissables et chaque jour plus surprenantes, invite donc autant les étudiants que les professionnels à croiser leurs regards. La crise des réfugiés indigne. L’élection de Trump aux États-Unis inquiète. La campagne électorale préoccupe… D’ une image à l’autre les signes s’entrechoquent, s’interpellent, se répondent, traversant les supports, changeant de format ou d’écriture. Cet ensemble d’expositions dessine les contours d’un paysage certes tourmenté et dont les perspectives sont plus qu’incertaines, mais la simple existence de ces images garantit notre pouvoir de discernement, de libre expression et de projection dans l’avenir. Nous pouvons prendre le pouls du monde, en attendant l’année prochaine.

« 17 images pour 2017 »

18 professionnels de l’image, auteurs-dessinateurs, illustrateurs, dessinateurs de presse, graphistes… ont généreusement accepté de nous prêter chacun une image réalisée en réaction à l’actualité durant ces douze derniers mois. Certaines de ces images ont été publiées dans la presse, d’autres affichées dans la ville, d’autres encore sont montrées aujourd’hui pour la première fois. De natures différentes, conçues pour divers supports et destinées à des publics variés, toutes ces images mises côte-à-côte, au même format, s’émancipent de leur contexte d’origine pour dialoguer entre elles avec autant de fracas que de complicité. Ces affiches nous rappellent la faculté incroyable des images à pouvoir se renouveler sans cesse selon les lieux, l’époque et le public, sans jamais se contredire. Le lien entre son auteur et son destinataire se voit ré-interrogé pour finalement mieux être reconsidéré.

Professionnels exposés : Louise Aleksiejew, Camille Besse, Christophe Besse, Biche, Anne-Lise-Boutin, Pascal Colrat, Dugudus, Gilles Dupuis, Philippe Geluck, Jochen Gerner, Sébastien Marchal, Malte Martin, Antoine Medes, Nat, Renaud Perrin, Thierry Sarfis, Vanessa Vérillon, Willis from Tunis, Jean-Pol Rouard et Stéphane Trapier.

« Un œil piquant à la pointe du crayon »

Christophe Besse

Le dessin de Christophe Besse a ce pouvoir d’exception de nous livrer des saynètes sans jamais les figer. D’un trait léger, enjoué même, ses images s’animent sous notre regard attentif – ne filez pas trop vite, prenez le temps de fouiller chaque détail du décor, de remarquer chaque expression des visages, d’interpréter chaque geste des personnages. Il y a de quoi faire. Toutes ces images sont autant de clins d’œil complices entre amis face à un détail amusant de la vie quotidienne.

D’abord arrive l’image, puis presque aussitôt le texte. Aucune cruauté, seule la justesse des mots qui piquent sur le vif la nature absurde, et pourtant si vraie, de la situation. Christophe Besse aime tous ses personnages, même les plus bêtes, et c’est avec la plus grande tendresse qu’il dresse un réel portrait critique de notre société ultra connectée, pour laquelle les priorités (écologiques par exemple) de son époque semblent devenues accessoires même si elles se réclament à grands cris de la plus haute conscience qui soit.

Dans la pure tradition du dessin d’humour anglo-saxon – pensons en particulier aux pages illustrées du New Yorker -, Christophe Besse s’attaque à l’immensité du monde par petits bouts et chaque morceau choisi nous parle finalement d’un tout.

« Quand on parle du loup , on envoie la Biche »

Biche n’a aucun mal à choisir ses proies puisque ce sont généralement elles qui s’offrent à lui à coup de grands titres dans la presse quotidienne, sans aucune pudeur. Il les capture d’un trait. Il les tient tous : Marine Le Pen avec ses dents acérées de piranhas, François Hollande, sorte de monobloc à qui l’on peut tout faire endurer, Nicolas Sarkozy qui tel un caméléon se fond dans n’importe quel décor, François Fillon dont la paire de sourcils sonne comme deux poids morts ou encore Donald Trump dont la tête revêt la palette la plus criarde du lot — les daltoniens ont ici bien de la chance. Sans parler de sa passion pour les robes, quelles qu’elles soient. Car pour un dessinateur comme Biche, une soutane comme une burka, c’est tout simplement du pain béni. Elle s’adapte à tous les terrains, incorpore tout sous ses jupons, épouse toutes les formes même les plus informes. On ne peut que penser au chapeau du « Petit Prince » de Saint-Exupéry qui n’est autre qu’un boa digérant son éléphant et qui tromperait n’importe qui, mais Biche, lui, ne s’y trompe pas. Il voit clair dans le jeu des uns et des autres. Il révèle l’insondable et moque l’indicible. Les loups devraient décidément hurler un peu moins fort s’ils espèrent encore pouvoir passer entre les mailles de son filet de papier, le plus redoutable qui soit.

Reportages dessinés

La pratique du reportage dessinée est par nature très immersive. Elle permet de s’approcher au plus près de son sujet, progressivement, et d’investir le terrain. Qu’il s’agisse d’un lieu ou même d’une personne, l’un allant rarement sans l’autre, le dessinateur s’expose lui aussi. Il observe mais son travail est à son tour observé, bien souvent en train de se faire, avec tout ce que cela comprend d’incertitudes et de pudeur. Il s’opère alors nécessairement une forme d’échange en temps réel.
Le reportage dessiné existe depuis longtemps mais il reprend ses lettres de noblesse depuis quelques années grâce à la bande dessinée d’une part et à la presse trimestrielle d’autre part, en particulier dans les mooks (revues hybrides à mi-chemin entre le magazine et le livre).

Ces ouvrages ont été réalisés en deuxième année de l’option design graphique, dans le cadre de l’atelier illustration de Sarah Fouquet. Chaque étudiant a produit aussi bien ses textes que ses images, dans un souci de documenter le lecteur, et s’est également saisi des questions éditoriales afin de rendre l’objet le plus autonome possible.

Textes de Sarah Fouquet